Bonjour à tous,
Commémorons
aujourd'hui la réhabilitation de Calas, il y a 250 ans. Ce protestant
au cœur de l'affaire qui porte son nom fut en effet emblématique de la
deuxième partie du XVIIIème siècle et de l'affirmation de idées des
Philosophes des Lumières. Cette affaire est une des plus importantes du
siècle et constitue le symbole de la pensée des Lumières sur la
religion. Mais en quoi et surtout avec quelles conséquences, en sachant
que cela précède de seulement quelques décennies la Révolution Française
?
L'affaire Calas, 1879, Casimir DESTREM
L'affaire Calas
Le contexte
Cette
affaire débute précisément le 13 octobre 1761 à Toulouse. Le Royaume de
France est à cette époque engagée dans la guerre de Sept ans
(1756-1763). Considérée comme la première guerre à être mondiale, elle
oppose d'un côté la France et ses alliés des Etats germaniques, la
Russie, la Suède, l'Autriche, l'Espagne... au clan Anglais et ses
alliés, notamment la Prusse, le Portugal et quelques petits états
germaniques. Or après de bonnes victoires, la France se trouve dans des
dispositions plus difficiles d'autant plus que les combats ont lieu en
Europe mais aussi en Amérique du Nord, aux Antilles, en brefs, dans les
colonies des Etats engagés.
D'un
point de vue religieux le contexte est le même depuis 1685 et la
révocation de l'Edit de Nantes : une intolérance institutionnalisé vis à
vis du protestantisme qui est alors interdit et réprimé. La révocation
était même confirmée par la déclaration du 5 juin 1716 et celle du 14
mai 1724. Ainsi les huguenots risquaient la galère (pour les hommes),
l'enfermement (pour les femmes) et la confiscation des biens. L'année
suivant le début de l'affaire Calas vit d'ailleurs l'exécution du
pasteur François Rochette à Toulouse.
Malgré
la retentissante affaire, il faut toutefois relever que les années
1760-70 semblent être propices à une tolérance grandissante à l'égard
des protestants (majoritairement calvinistes en France) et c'est
peut-être aussi pour ça que l'affaire fit tant de bruit : elle était
peut-être déjà "en décalage avec son temps" puisqu'elle relevait
davantage d'un esprit relevant des guerres de religion.
Les faits, le procès
L'histoire
commence le 13 octobre 1761, jour pendant lequel Marc Antoine Calas,
fils d'un marchant protestant de Toulouse, Jean Calas, se suicide par
pendaison pour des raisons inexpliquées. La famille déguise le suicide
en meurtre pour éviter le sort particulièrement humiliant réservé aux
cadavres de suicidés. De ce fait une rumeur court vite sur la
"véritable" version des faits : Marc Antoine aurait été tué par son père
Jean du fait de sa volonté d'abjurer, c'est à dire de se convertir au
catholicisme. C'est sur la base des "on dit" qu'une enquête est vite
menée et conclut à la culpabilité du père alors que le clergé toulousain
fait du fils un martyr. Le Parlement de Toulouse en arrive à la même
conclusion sans pour autant se baser sur plus de preuve que lors de la
première enquête. L'erreur manifeste n'empêche pas Jean Calas d'être
soumis à la question (torture ayant pour but d'obtenir des aveux) puis
au supplice de la roue le 10 mars 1762. Il n'avoue pourtant rien,
clamant son innocence. Suite à cela, il est donc étranglé puis brûlé.
Une affaire d'Etat
Bien sûr, si ce procès est devenu une "affaire", c'est bien qu'elle a suscité une émotion, notamment chez Voltaire. D'abord peu intéressé par le procès (il pense que le père est coupable), change ensuite d'avis suite à la rencontre avec le petit frère de Marc Antoine, et prend la défense de Jean Calas, convaincu qu'il s'agit d'une erreur judiciaire. Il souhaite obtenir la révision du procès en vue de réhabiliter Calas et réparer sa veuve. C'est dans ce contexte qu'il écrit une de ses oeuvres les plus connues : leTraité sur la tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas en 1763. A force de réclamation et de communication (par des lettres, des gravures et estampes...), l'affaire est évoquée au conseil d'Etat en juin 1764 qui casse les jugements précédents.
Calas Réhabilité
Autour de la réhabilitation
A
force de pression donc, les résultats des premières enquêtes sont donc
annulés. Mais selon Voltaire, il en va également de l'honneur de la
famille Calas et celui-ci aussi doit être réparé publiquement. Il
réussit à obtenir une révision du procès et un arrêt déclarant
l'innocence de Calas le 9 mars 1765. La femme de Jean Calas obtient
réparation (une pension de 36 000 livres). Néanmoins, le parlement de
Toulouse refuse d'admettre cette déclaration et de revenir sur son
jugement. Le capitoul de Toulouse est quant à lui démis de ses fonctions
et finit... par se suicider... la boucle est bouclée en somme.
Les conséquences de l'affaire
-Sur
la Tolérance et les lumières : D'un point de vue religieux,
l'intervention de Voltaire dans cette affaire n'est pas tant une charge
contre l'Eglise Catholique que contre le fanatisme en général. On peut
l'affirmer de manière certaine du fait de sa première opinion de
l'affaire : il avait d'abord porté un jugement négatif à l'égard de
protestants qu'il considérait comme fanatiques, avant d'en savoir plus
sur la position des juges et leur manière de traiter l'affaire qui
emprunte plus à de l'intolérance populaire qu'à la raison (autre
principe fort du mouvement). C'est donc contre le fanatisme et pour la
tolérance qu'il s'engage et se mobilise. C'est aussi pour ça qu'il écrit
donc son Traité sur la tolérance. L'ensemble des événements
donne un impact plus grand au courant philosophique qui dans ce même
contexte gagne en influence dans l'opinion publique (L'Encyclopédie malgré
les critiques et interdiction reprend sa publication en 1762). En
vérité aussi, il faut bien insister sur le fait que Voltaire
universalise sa cause et n'en fait pas la défense d'une famille en
particulier, mais du bien public voire de l'humanité.
-Sur
l'Ancien Régime : Le fait de casser une décision de justice à l'aide
d'un autre tribunal fut une véritable nouveauté judiciaire. C'est ici
les institutions d'Ancien Régime qui se contredisent. Certes de nos
jours, que des arrêts soient cassés ne semble pas poser de problème.
Mais pour l'époque c'est une brèche qui s'ouvre dans un Ancien Régime.
Cette déclaration de réhabilitation démontre la force moins importante
de l'Etat et surtout de sa plus grande sensibilité à une opinion
publique montante et dynamique. D'un point de vue judiciaire, la défense
de Calas par Voltaire entraîna une mutation de cet ordre qui auparavant
n'était pas soumis à une opinion publique mais à des débats secrets. Le
fait même qu'une personne vole au secours d'un accusé n'est pas prévu
et l'accusé et sensé présenter seul sa vision des faits sans avocat. Il
devait subir des interrogatoires sans même connaître son chef
d'inculpation et subissait bien souvent la question. Seuls les familles
les plus riches peuvent organiser un défense à l'aide de personnes
connaissant le droit. L'ensemble de ces procédés arbitraires sont
critiqués par Voltaire qui les outrepasse par son intervention.
Conclusion : La postérité de l'affaire
On
peut dire que cette affaire eut un retentissement certain. Si elle
n'est pas la seule à avoir bousculé la politique à l'époque moderne,
elle fut une sorte de modèle du genre dans le sens où elle lia à la fois
l'erreur judiciaire, l'intervention du milieu intellectuel, la cause et
la critique du régime. L'affaire Dreyfus un peu plus d'un siècle plus
tard (1894-1906) démontre quelques points communs dans un contexte
toutefois différent et avec un écho autrement plus important (et
conflictuel) dans la société. Laissant place à une abondante
littérature, l'Affaire Calas fut aussi une source d'inspiration pour des
films et séries (comme le film Voltaire et l'Affaire Calas qui date de 2007).
Sources :
André ZYSBERG, La monarchie des Lumières, 1715-1786.
EHESS
Pour en savoir plus :
Ministère de la Justice.
M. Decombe
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