Détail d'une enluminure du XVIe siècle
attribuée à Maître à la Ratière, Chantilly, musée Condé.
A la question « 1515 ? », tout
le monde ou presque vous répondra « Marignan ! ».
Cette année, nous commémorons les 500 ans de cette bataille remportée par
François Ier, dans la petite ville italienne située à 13 km au sud-est de
Milan. Mais qu’allait faire ce jeune roi de France de tout juste 21 ans
en Italie du Nord et pourquoi cette bataille est-elle restée
célèbre ?
Nous sommes le 1er janvier 1515, Louis XII, le roi de
France meurt sans héritier mâle direct. Selon des règles établies au fur et à
mesure durant le Moyen-Age, c’est son plus proche parent mâle qui doit lui
succéder. Il s’agit de François d’Angoulême, tout juste 20 ans, cousin du roi,
devenant ainsi le 24ème monarque
de la dynastie des Capétiens.
François rêve de gloire et veut montrer sa
puissance à l’Europe entière. Il poursuit la politique de ses prédécesseurs sur
la volonté d’expansion du Royaume de France en Italie. Parce qu’il a appartenu
à son arrière-grand-mère Valentine Visconti, fille du dernier duc de Milan de
la dynastie des Visconti à laquelle a succédé celle des Sforza, François Ier
revendique le duché de Milan. Celui-ci est allié au Pape et aux suisses qui ne veulent
pas de Français en Italie du Nord.
A l’été 1515, François Ier rassemble
la plus grande armée que le royaume ait connue. 40 à 45 000 hommes (dont
une bonne moitié de mercenaires allemands) soit deux fois plus que l’effort de
guerre de ses prédécesseurs, 56 canons[1] franchissent les Alpes en 3 jours sur
des chemins étroits et par une route inhabituelle dans le but de prendre à
revers l’armée des cantons suisses. Cette tactique fonctionne très bien puisque
les Helvètes sont obligés de se replier sur Milan début septembre. C’est alors
qu’ils se divisent sur la marche à suivre. Trois cantons décident alors de
faire sécession et rapatrient leur armée, soit un tiers des effectifs ;
laissant les autres cantons avec seulement 25 000 hommes[2].
Le 13 septembre, les Suisses décident
d’attaquer le camp des Français installés à Marignan en comptant sur l’effet de
surprise et leur force. En effet, au début du XVIe siècle, les mercenaires suisses
sont les plus redoutés d’Europe, ayant vaincu les Bourguignons (entre 1474 et
1477) ou encore l’empereur du Saint-Empire Romain Germanique (SERG) en 1499[3].
La bataille débute bien pour eux mais la
nuit du 13 au 14 septembre fut décisive. En effet, les Suisses sont mal
approvisionnés, ils ont faim, ils sont mouillés car ils ont dû franchir des
canaux nombreux dans la région et ils ne peuvent allumer des feux pour se
réchauffer par cette nuit glaciale car ils se font tirer dessus par
l’artillerie française. Celle-ci profite aussi de la nuit pour se
repositionner. Le lendemain, les Suisses sont écrasés par les lignes françaises
avec le roi à leur tête. Ils perdent 8 000 hommes contre 4 à 5 000
pour les Français. François 1er est
alors adoubé par le chevalier Bayard d’après la légende. Milan se rend quelques
jours plus tard aux Français.
Marignan marque le début du retrait des
Suisses dans les guerres européennes même si leur neutralité ne fut
officiellement reconnue qu’en 1815 au Congrès de Vienne.
C’est aussi le retour de la France en
Italie du nord. Retour bref puisque les défaites à La Bicoque (1522) et surtout
celle de Pavie (1525) pendant laquelle François 1er fut capturée par Charles Quint,
sonnent le glas des ambitions françaises qui ne revint que sous la Révolution.
Ce qui fit de Marignan une bataille
célèbre fut la propagande dispensée par la France et ses alliés en Europe.
L’objectif était de faire passer le jeune François 1er pour le nouveau César, le nouvel Alexandre. Les chansons (composition
de Clément Jannequin),
les médailles, les gravures et aussi la littérature participèrent à diffuser
cette image et notamment à la fin des années 1510 lorsque le monarque se
présenta à l’élection du
siège impérial du SERG.
La Guerre ou
La Bataille de Marignan, par Clément Janequin. 1555
Mais l’événement qui fit entrer la
bataille dans la légende fut la grandiose reconstitution du château d’Amboise
en en 1518[4]. Il
s’agissait de fêter le baptême du premier enfant du roi ainsi que le mariage de
sa cousine avec le duc d’Urbino Laurent II de Médicis futur parents de
Catherine de Médicis (ces derniers ne sont pas encore à la tête de la Toscane).
Les festivités durèrent cinq jours. Un
château de tissu fut même construit pour abriter les convives. Mais surtout, un
fortin de bois et de toile fut édifié pur permettre au roi entouré de
chevaliers, de rejouer la bataille. Celui-ci fut conçu en partie par Dominique
de Cortone après avoir reçu les conseils de Léonard de Vinci (ce dernier
dessina d’ailleurs une partie des costumes des festivités).
De nombreux ambassadeurs italiens furent
conviés à cette fête et ce furent eux, via leurs écrits, qui participèrent grandement
à diffuser la propagande royale en Europe et à rendre à jamais célèbre, la
bataille de Marignan. Toutefois, elle ne permit pas à François 1er de se faire élire empereur. L’argent
distribuée par son adversaire Charles Quint fut d’une bien meilleure utilité.
On le voit donc, le premier grand succès
du Roi de France François Ier fut accompagné d’une propagande immédiate
permettant à cette bataille de rester à la postérité. Et elle le resta,
confirmant sa place dans le « roman national » au XIXème siècle. Elle
fut en effet représentée par Alexandre-Evariste Fragonard sur un tableau en
1836, œuvre qui est visible dans la galerie des batailles créée par
Louis-Philippe l’année suivante dans un souci de réconciliation nationale.
Cette présence n’est pas anodine, puisque Marignan est présentée aux côtés
d’autres victoires perçues comme constitutives de la nation française :
Poitiers, Bouvines, siège d’Orléans… Les manuels scolaires du XIXème siècle (en
particulier le « Petit Lavisse » s’adressant au Cours Elementaire) : l’épisode est
narrée de manière romanesque et associe la figure combattante de François Ier à
celle de Bayard qui le fait chevalier, dans une ambiance de bravoure et de
courage presque médiévale ! Les programmes d’histoire actuels accordent
une place moins grande à celle-ci et l’historiographie a réétudié le « cas
Marignan » sous un angle plus militaire et social, comme en témoignent les
reconstitutions historiques actuelles.
L'oeuvre de Fragonard célèbre la bataille de Marignan
en insérant au centre la figure du Roi de Guerre.
Pour
conclure, si Marignan est une des batailles françaises les plus célèbres de
l’époque moderne, elle fut toutefois une naine politique. En effet, la France
fut obligée de se retirer définitivement d’Italie du Nord dès 1525 après la
défaite de Pavie, bataille durant laquelle le roi fut même fait prisonnier par
l’armée de Charles Quint. Le royaume n’avait pas suivi la révolution engendrée
par l’utilisation des armes à feu portatives.
Ensuite, ce n’est pas à Marignan que les Suisses
adoptèrent leur célèbre neutralité. En réalité, la Confédération renonça
progressivement aux guerres durant la Renaissance et les Lumières, mais sa
neutralité ne dut officiellement consacrée qu’en 1815 au Congrès de Vienne.
C’est donc bien la propagande qui fit de Marignan,
cette bataille si célèbre même si toutefois, les gens n’en connaissent plus
aujourd’hui tous les détails. Elle n’en reste pas moins un détail intriguant de
notre mémoire collective et de notre attitude face à la chronologie et face à
« l’histoire-bataille ».
MR DECOMBE
[1] . Qu’allait-il faire à
Marignan ? Amable Sablon du Corail, L’Histoire, Les Collections,
n°68, juillet 2015.
[2] . Ibid.
[3] . Ibid.
[4] . On rejoue la bataille, Pascal Brioist, , L’Histoire, Les
Collections, n°68, juillet 2015
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