mercredi 29 octobre 2014

Centenaire 14-18: les poilus, missionnaires du football.

-Jules Rimet, ancien poilu et artisan de la création de la Coupe du Monde-
Bonjour à tous,
La Coupe du Monde de football s’est achevée en cette année du centenaire de la Grande Guerre. Quoi de mieux alors que de commémorer cet anniversaire par un petit billet d’histoire culturelle et sociale autour du sport le plus populaire de la planète ?
Né dans la seconde moitié du XIXème siècle en Angleterre, le « Football Association » est un sport qui provient de la codification de jeux de balle populaires comme la soule. Petit à petit, l’Angleterre puis les autres nations du Royaume-Uni (Ecosse, Pays de Galle) et enfin l’Irlande s’approprient ce sport aux règles relativement simples. Puis sous l’impulsion des britanniques présents dans le monde entier (par leur Empire colonial et leur activité économique) ce sport se développe variablement sur les continents européen, sud-américain asiatique et africain. Toutefois, malgré cette expansion, le football n’est pas encore LE sport populaire par excellence. D’abord parce qu’en ce début du XXème siècle, il n’a pas encore gagné toutes les classes sociales. Ensuite parce que d’autres sports lui font concurrence. En effet, dans l’Empire Britannique et même ailleurs, le « Football Rugby » (qui provient d’une autre codification dérivée de la soule) est plus pratiqué, notamment parce qu’il correspond plus aux exigences d’amateurisme que veulent promouvoir les britanniques dans leur empire. En effet, le professionnalisme est apparu dès les années 1880’ dans le « Football Association » en Angleterre. Le cricket est aussi un sport important dans certains pays, comme en Inde.  
C’est alors que la Grande Guerre arrive. Par son caractère mondial et massificateur, elle eut un impact important sur la diffusion du football dans le monde. Nous verrons d’abord comment les poilus découvrent le football pendant la guerre et se l’approprient, avant d’expliquer les conséquences de la guerre et l’évolution du football qui va alors vers ses premières Coupes du Monde.

Le football sur le front


Dès le mois d’août 1914 et la mobilisation générale, les sportifs n’échappent pas à la règle et doivent partir au front. C’est donc le début d’une période pendant laquelle le football tourne au ralenti dans plusieurs pays d’Europe. Néanmoins, le football ne meurt pas et constitue même l’une des occupations des soldats sur le front. Il constituait une distraction plus qu’un sport et permettait aux combattants d’oublier un temps les horreurs quotidiennes auxquelles ils assistaient, surtout à partir de la guerre de position. Ainsi, un soldat déclarait « Lorsque je joue au football, je ne pense plus que c’est la guerre ». Le football permettait également de souder les poilus dans un cadre plus plaisant que celui des tranchées.  
Sous quelles formes le football se pratiquait-il « dans les tranchées » ? Malgré la médiatisation des trêves de Noël (notamment par le film de Christian Carion Joyeux Noël sorti en 2005), il semble que ces épisodes n’aient pas tellement entraîné la pratique du jeu de ballon rond. En effet, les sources sont imprécises sur de telles parties. Néanmoins, qu’ils découvrent ce sport ou non, les poilus ont bien joué au football. Les soldats urbains furent sans doute ceux qui ont le plus permis la diffusion, le football étant beaucoup plus ancré en ville qu’en campagne à ses débuts. Les compétitions de football se jouaient entre bataillons d’une même armée ou alors même entre alliés. Ainsi le tournoi inter-bataillons de 1916 a vu sa finale attirer pas moins de 2 500 spectateurs. L’organisation de ce loisir est devenue de plus en plus importante si bien qu’en septembre 1917, c’est le président du Conseil lui-même qui décide de l’achat de 4 à 5 000 ballons pour les poilus.
Mais quelle fut la place du football dans les sociétés et dans les mentalités ? Fut-il un instrument de la culture de guerre ? On peut dire que oui, tout du moins à son échelle. A l’arrière, malgré l’absence de joueurs partis au front, on continue à jouer et on le fait même au service de la guerre, puisque certains matches sont organisés pour collecter des fonds et donc participer à l’effort de guerre. Dès décembre 1914, un match a par exemple opposé l’Amiens AC à d’autres joueurs amiénois, ce qui a permis de récolter 600 francs. Plus significatif, du côté des soldats, le football et la guerre se sont mêlés dans les représentations mentales. A plusieurs reprises, des soldats anglais ont par exemple mené des offensives balle au pied, comme le fit une des compagnies du 8ème bataille du East Surrey Regiment le 1er juillet 1916 en Somme. Cette mise en scène de la guerre conduit à penser que le football est comparé à une bataille qui malgré son caractère pacifique prend une dimension tout aussi patriotique voir chevaleresque et morale que la guerre contre l’ennemi perçu comme un barbare. 
Ainsi le football a eu toute sa place sur le front pour des soldats ayant besoin de loisirs pour oublier temporairement la brutalisation qu’ils subissent. A l’arrière, la Grande Guerre eut encore plus d’impact sur ce sport qui connaît alors une massification importante.

Les effets de la Grande Guerre sur le people’s game

La Première Guerre mondiale eut un effet catalyseur dans la popularisation du football, en particulier sur le Vieux continent. Le ballon rond est entré dans une nouvelle étape de son histoire, une étape qui l’amène vers ses premières coupes du monde.
Le bilan de la Première Guerre Mondiale chez les sportifs français de haut niveau est lourd : 424 morts, l’équivalent de plus d’une délégation français aux Jeux Olympiques. Néanmoins, ces pertes sont en quelque sorte un mal pour un bien quand on voit le nombre de poilus initiés au ballon rond et qui permettent de répandre ce jeu. Le lendemain de la guerre ouvre en effet le début de l’ère du sport de masse. Le nombre de joueurs augmente : en Allemagne, il passe de 161 600 en 1913 à 468 000 en 1920. Même les femmes sont touchées par ce sport auquel elles peuvent plus participer du fait de leur rôle plus reconnu grâce à leur participation à l’effort de guerre. Le premier match de football féminin organisé en France a lieu en 1917. En plus d’attirer plus de joueurs, le football mobilise plus de spectateurs et d’intéressés qui permettent le développement de la presse sportive comme Le Miroir des Sports qui a cette époque tire à 200 000 exemplaires.
La « Der des Ders » est aussi l’occasion pour le people’s game de s’organiser. En France, la Coupe de France voit le jour en 1917 sous l’impulsion de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages Français et du Comité Interfédéral Français. Elle a pour but de commémorer la mort de Charles Simon tombé au combat en 1915.
Cette effervescence des structures du football ne se fait pas sans débat. En effet, alors qu’outre-manche la question du professionnalisme est éludée, celle-ci hante le football français encore très divisé. D’un côté, l’Union des Société Françaises de Sports Athlétiques défend la conception aristocratique de Pierre de Coubertin qui préfère le football amateur réservé aux plus aisés. De l’autre côté, le Comité Interfédéral Français se prononce pour le professionnalisme dans un but démocratique, afin de permettre aux joueurs de basse condition sociale de pouvoir rivaliser : il s’agit de se faire rémunérer pour s’entraîner au moins autant que les footballeurs de condition élevée qui peuvent se permettre de ne pas avoir de revenus. Dans ce débat qui concerne également d’autres sports, c’est finalement le professionnalisme qui l’emporte. L’USFSA éclate en plusieurs fédérations (dont la FFFA) ce qui entraîne une spécialisation et une professionnalisation accentuée.
Enfin la Grande Guerre a orienté l’organisation du football au niveau international. Si les footballs nationaux se structurent rapidement, la Première Guerre Mondiale a jeté un froid sur les relations sportives internationales. En effet, la Football Association (fédération anglaise) décide de boycotter les anciens empires centraux ainsi que les neutres qui entretiennent des relations sportives avec eux.  La voie de l’ostracisme est abandonnée pour ces nations dès 1924 puisqu’elles participent aux Jeux Olympiques de Paris, puis en 1931 pour l’Allemagne lors du premier match de football franco-allemand. Il faut dire que la FIFA retourne à ses positions pacifistes dès les années 1920 sous l’impulsion notamment de Jules Rimet qui est l’exemple même de l’impact des poilus sur le développement du football. Il fut en effet l’artisan de la création de la Coupe du Monde qui fut conçue pour rapprocher les nations et réunir le football professionnel alors que le CIO tenait à l’amateurisme du tournoi de football olympique. Le nom du trophée a même porté son nom entre 1930 et 1970.
Avec ce tournoi, le football est lancé vers une massification sans précédent, vers une histoire évoluant sans cesse au gré des exploits et du jeu, mais aussi au grès de l’évolution plus globale de notre histoire politique, économique et sociale. 
M. DECOMBE

Sources

Histoire du football, Paul DIESTCHY, Tempus, 2010.