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Le Mur de Berlin, 1986 |
Bonjour à tous !
En ce long dimanche de mois de novembre, une commémoration importante
retient notre attention. Cela fait en effet 25 ans jour pour jour que le
mur de Berlin fut détruit. L'un des événements les plus importants du
passé proche, de l'histoire du temps présent. Il clot pour l'Allemagne
une page douloureuse de l'histoire pendant laquelle elle fut partagée,
pendant laquelle elle n'était qu'un apanage, une zone tampon entre deux
grands blocs en affrontement indirect depuis l'après deuxième guerre
mondiale.
Evidemment, la portée de l'événement est très souvent analysée à
l'échelle mondiale et sous l'angle des relations internationales. S'il
est évident que cet événement a déclenché la déliquescence puis
l'implosion du bloc communiste, si nous savons tous que ce fait a
réorganisé la géopolitique mondiale et permis aux Etats-Unis d'être la
seule hyperpuissance pendant une dizaine d'années environ, il est tout
aussi intéressant de se pencher sur les conséquences de ce fait au
niveau européen et allemand, des recoins de la psychologie collective
jusqu'aux accélérations de la construction européenne. Une nouvelle
donne a t-elle été permise par ces événements à l'échelle de l'Allemagne
désormais réunifiée et stabilisée, après de nombreux bouleversements
frontaliers et migratoires ? Peut-on dire que l'Allemagne s'est
réinventée dès lors ?
Petit rappel des faits
Nous n'allons pas nous éterniser à tout dire à propos du mur, il y a
tellement à (re)dire que cela pourrait être fastidieux. En revanche, il
paraît nécessaire de rappeler certains faits...
Tout d'abord le mur de Berlin est le résultat même des manifestations de
la guerre froide. Dès 1948, l'affrontement est latent et pour empêcher
la constitution d'une enclave occidentale dans sa zone d'occupation,
l'Union Soviétique décrète le blocus terrestre de la ville. Pour contrer
cette décision, les occidentaux, et notamment le général Clay, décide
d'organiser un pont aérien pour ravitailler les Berlinois de l'ouest
jusqu'au 12 mai 1949.
C'est la cristallisation des tensions entre les deux côtés de la
capitale Prussienne qui a entraîné la division de l'Allemagne avec la
création de la RFA (par la Loi fondamentale) puis de la RDA. Le
mécanisme de division s'accentue alors...
Néanmoins les différences économiques, politiques et sociales entre les
deux Etats sont vite ressenties par les habitants de la RDA, très
attirés par l'ouest. La frontière entre les deux Allemagnes ne pouvait
contenir les velléités migratoires. De même, un certain nombre d'entre
eux passait par Berlin, véritable brèche pour la RDA. La seule solution
est de colmater celle-ci, mais l'URSS hésite à donner son feu vert,
préoccupée par l'opinion internationale.
Finalement, le 6 juillet 1961, c'est un "oui" : la procédure de
construction du mur et enclenchée et la construction réelle commence le
13 août 1961 avec la pose des premiers fils de fer barbelés. Tout cela
oblige bien sûr à réorganiser la ville et ses infrastructures, d'autant
plus que le Mur est renforcé d'années en années, le béton armé
remplaçant le parpaing initial, les bunkers s'ajoutant à la
construction.
Pendant 28 ans, le Mur fut un symbole de la guerre froide. A l'occasion
du 40ème anniversaire de la RDA, on pense aux célébrations mais pas
vraiment au Mur qui semble immuable. Pourtant, les migrations furent
facilitées vers l'ouest début 1989 et en août-septembre 1989, des
allemands profitent de l'ouverture temporaire du rideau de fer pour
partir. A cela s'ajoutait une opposition grandissante et des
manifestations pour la liberté de parole, de la presse, aussi bien à
Leipzig qu'à Berlin Est. Face à ces manifestations, l'absence de soutien
de l'URSS est déjà évocateur et le peuple est en confiance. "Wir sind das Volk"
déclament 75 000 personnes le 9 octobre. Malgré un changement à la tête
du parti unique (le SED) et des annonces de réformes, le mouvement ne
s'essouffle guère.
La chute du mur peut fasciner par son caractère pacifique et spontané.
En effet, les autorités, même si elle ne réagissaient pas par la
répression, n'avaient pas vraiment choisi l'ouverture du mur. Mais lors
d'une conférence de presse, Günter Schabowski s'embrouille en direct et
annonce que "Nous avons décidé aujourd'hui d'adopter une
réglementation qui permet à chaque citoyen de la RDA de se rendre à
l'étranger par les postes-frontières est-allemands", ce à quoi il
ajoute que cette décision est immédiate face aux questions stupéfaites
des journalistes. C'est alors que la population, les journalistes, se
massèrent vers le mur et commencèrent à entamer sa démolition sous la
passivité complice de gardes-frontières indécis. Le passage, émouvant,
fut médiatisé mondialement et entérina la fin de la division entre les
deux Allemagnes qui se retrouvaient.
Une Allemagne en renouveau ?
Bien évidemment, la portée de cet événement marquant fut immédiate et
irrémédiable sur le plan politique et diplomatique. Néanmoins, si la
Réunification semblait inévitable, il fallut toutefois la mener à bien
et ce n'était pas chose simple : il fallait reconstruire physiquement
une ville, marier économiquement et politiquement deux Etats que tout
séparait. Si les Allemands semblaient prêts à reformer une nation, les
est-allemands n'étaient pas forcément préparés à connaître l'économie de
marché. Il fallait donc arrimer l'est à l'ouest et l'Allemagne
réunifiée à l'Europe. C'est d'ailleurs dans ce cadre que les dirigeants
européens, dont François Mitterrand, ont mis tout leur poids dans la
balance pour profiter de cet événement pour imposer à l'Allemagne une
monnaie unique dans le cadre de la construction européenne. C'est
seulement sous certaines conditions que l'Allemagne accepta.
En plus de la réunification, officielle à partir du 3 octobre 1990, et
en plus du nouvel impact sur la construction européenne, l'Allemagne a
travaillé sur son modèle. Si politiquement, elle poursuivit dans la
lignée du fédéralisme et du parlementarisme (tradition depuis la Loi
Fondamentale de 1949), elle pris un autre tournant économiquement
parlant. En effet, le fameux "modèle allemand" n'est pas si ancien.
Historiquement, l'Allemagne est plutôt basée sur un réseau de PME qui
permis le décollage économique allemand au XIXème siècle ; sur une
politique sociale mise en place dès les années 1880 sous Bismarck (pas
tant par socialisme que pour couper l'herbe sous le pied de ses
opposants) ; sur "l'économie sociale de marché" enfin, depuis l'après
guerre, permettant l'association de la concurrence à la participation
des ouvriers dans les entreprises.
Or ce modèle change dès lors que la Réunification arrive, d'abord avec
Helmut Kohl puis surtout avec Gerhard Schröder entre 1998 et 2005.
Celui-ci baisse la fiscalité des entreprises et des hauts revenus,
réduit les prestations sociales pour les retraités et chômeurs et baisse
les taxes sur les plus-values des entreprises. Il profita en partie
d'un euro plutôt faible à l'époque pour opérer à ces réformes
structurelles. C'est ainsi que le modèle allemand mua et que nos voisins
choisirent la précarité et la flexibilité face au chômage, tout cela
avec le blanc-seing des sociaux démocrates allemands qui depuis déjà
1959 ont renoncé au marxisme théorique.
On le voit donc, certaines lignes ont bougé en Allemagne. Peut-on
toutefois penser que le renouveau est total ? Rien n'est moins certain,
les traces du Mur persistent.
Le niveau de vie et la richesse reste inégalement répartis au sein du
territoire allemand, en défaveur des länder de l'ancienne Allemagne de
l'est.
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Le PIB par habitant peut varier du simple au double selon le le côté de l'Allemagne où l'on se trouve. Source : La documentation française. 2009. |
Ces inégalités territoriales persistent donc et font se développer un
certain mouvement d'ostalgie, c'est à dire de regret plus ou moins
prononcé à l'égard de l'ancienne RDA, notamment sur certains aspects
quotidiens ou l'économie. Un sondage de 2009 a même mesuré cette
ostalgie comme étant majoritaire en ex-Allemagne de l'Est. De même, ces
inégalités que tentent de réduire l'Etat fédéral sont sources de
tensions politiques entre les länder les plus riches et les plus
pauvres, les premiers refusant de payer pour les plus pauvres et
exigeant une réforme.
Enfin, si l'Allemagne est une puissance incontestable en Europe et
semble tenir à elle-seule la machine européenne, ne soyons pas trop
laudatifs. Cette puissance n'en reste pas relativement vieillissante
d'un point de vue démographique avec 1,38 enfant par femme en âge de
procréer (2012). Seul le solde migratoire positif permet aux Allemands
de ne pas perdre d'habitants, alors que dans le même temps la France se
maintient à 2,01 enfants par femme en âge de procréer.
Certes, l'Allemagne a encore du chemin à parcourir mais tant de choses
ont été faites depuis 25 ans que rien ne noircira vraiment le tableau de
ce 9 novembre 2014. Des milliers d'Allemands ont commémoré l'événement
et un million de personnes (allemands ou étrangers) devaient faire le
déplacement à Berlin pour aujourd'hui, ce dont ne s'est pas privée la
chancelière qui, ayant elle-même vécu en Allemagne de l'est, a rappelé
l'espoir porté par un tel événement. Tout cela est le symbole d'un
patriotisme retrouvé et apaisé.
Sources :
L'Histoire. Les collections. Numéro 65. "L'Allemagne de Luther à Merkel". Octobre-décembre 2014.
Le Monde
Le Point.
M. Decombe